Le livre dont il est question ici, « Boire la mer à Gaza », est un recueil d'articles écrits et publiés dans le journal « Haaretz », entre 1993 et 1996 (publication du livre en Israël). Le titre est tiré d'une expression arabe, signifiant familièrement ?va au diable!?. Dans la région, chez les Palestiniens comme chez les Israéliens, on convient généralement, comme l'écrit Sylvain Cypel dans Le Monde du 22 décembre, que ?Gaza, c'est l'enfer?. Ancien port à l'histoire millénaire, c'est aujourd'hui une ville située dans une zone enclave, la ?bande de Gaza? où vivent, outre les citadins, des réfugiés et des colons. Les accords d'Oslo devaient entre autres choses régler la question du ?transfert d'autorité? de l'armée israélienne à l'Autorité palestinienne. Amira Hass apporte ici des témoignages, des entretiens, des choses vues et des mises en regard d'analyses provenant de différentes instances et portant sur plusieurs périodes. À travers des entretiens réalisés avec d'anciens militants devenus aujourd'hui des responsables en vue, elle revient par exemple sur la première Intifada et sur la manière dont ils ont pris la tête du mouvement et imposé des faits accomplis à la direction de l'OLP, que l'exil avait fini par couper du terrain. Ce sont ces jeunes dirigeants locaux, plus militants qu'hommes d'appareil, que Yasser Arafat, faute de pouvoir les contrôler, avait appelés ses ?généraux?. Ailleurs, elle documente les petits faits quotidiens qui témoignaient de l'arrogance et du mépris des soldats d'occupation, lesquels à leur tour ne font que renvoyer à la mauvaise foi stupéfiante des autorités politiques et militaire israéliennes. Elle note aussi les transformations parfois minuscules qui eurent lieu au cours des étapes du transfert d'autorité qui fit suite aux accords d'Oslo et qui indiquent la rapidité avec laquelle on s'acclimate au sentiment de la liberté. Elle marque enfin le grippage originel lié aux points laissés en suspens à Oslo et la pusillanimité d'accords qui laissaient à la mauvaise volonté des Israéliens toutes opportunités de se manifester efficacement (blocage des points de passage, interdiction aux ouvriers travaillant en Israël de passer la frontière, fermeture de l'aéroport, non respect de l'obligation d'établir un corridor avec la Cisjordanie). Pour autant, elle n'épargne pas l'incompétence, pour dire le moins, des dirigeants de l'Autorité palestinienne. Le résultat est que la situation des Gaziotes, en fin de compte, n'a cessé de s'aggraver depuis 1994. Si nous avons en France la chance d'avoir accès à des publications importantes sur le sujet, telles la « Revue d'études palestiniennes », il subsiste une certaine ignorance de l'existence en Israël même d'une authentique dissidence critique relativement à la doxa locale très fortement majoritaire. Il me semble utile de faire entendre ici ces voix qui résistent au système de manipulation qui tend à rendre inaltérable le système de la paranoïa et de l'oppression, sous influence d'institutions politiques et éducatives redoutablement efficaces. Ces voix, longtemps occultées ici par celles, plus emblématiquement paralytiques et tièdement consensuelles, d'un Amos Oz ou d'un David Grossman, commencent heureusement à être connues ici (voir « Le Monde » du 22 novembre 2000 ; voir aussi « Le Monde diplomatique », novembre 2000). Je crois nécessaire d'en proposer un accès de première main et non plus seulement d'ouï-dire. « Boire la mer à Gaza » apporte le témoignage de l'une des nombreuses modalités de la résistance, thème qui reste sensible en France : résistance à la doxa politique et mise en œuvre d'une machine critique à partir d'un déplacement spatial infime du locuteur - de Tel Aviv à Gaza. Il convient ici de rappeler ce qui est devenu déjà légendaire à propos du personnage de l'auteur. Sa mère, sarajévienne et rescapée de Bergen Belsen, lui a raconté, alors qu'elle était enfant, une scène qui s'est gravée dans sa mémoire et gouverne aujourd'hui tout son travail et son engagement politique : descendant du train qui l'amenait au camp, la jeune fille avait aperçu un groupe de femmes qui regardaient le convoi, mi-curieuses, mi-indifférentes. Très tôt, Amira Hass a su qu'elle ne serait jamais de ceux qui restent sur le côté pour regarder. Ce qui signifiait qu'elle serait à l'intérieur, pour partager et témoigner. Amira Hass fait un travail qui, à sa manière journalistique, va dans le même sens que celui des Nouveaux historiens israéliens : c'est un travail de démythification et de réancrage des outils de la pensée dans un monde où l'autre, l'interlocuteur avec qui l'espace est en partage, est bien en vue et non l'objet d'une dénégation répulsive/compulsive. La pertinence de cet effort me paraît devoir toucher non seulement ceux qui s'intéressent au conflit israélo-palestinien, mais de manière plus générale, ceux pour qui les questions que pose la résistance ne sont pas épuisées et ceux pour qui la destinée tragique du peuple palestinien, celle pathétique du peuple juif n'ont rien d'énigmatique ni de divin, mais restent un défi devant lequel il importe de ne pas laisser céder la pensée.
TAKSIM ! - CHYPRE DIVISEE, 1964-2005Le témoignage poignant des Chypriotes du Nord et du Sud sur la séparation de leur île, soigneusement rapporté et commenté par deux chercheurs, lors de leurs enquêtes de terrain de 1995 à 2004.
À Chypre, indépendante depuis 1960, l’agressivité des mouvements nationalistes importés de Turquie et de Grèce a abouti à des affrontements interethniques, à la séparation des communautés grecque et turque, autrement dit orthodoxe et musulmane, et enfin à une tentative de coup d’État pro-grec suivie d’une intervention armée turque qui a accompli le partage (taksim) de l’île en 1974. À l’époque, environ un tiers des Chypriotes ont subi un ou plusieurs exodes forcés et le tissu social de l’île a été détruit. De 1995 à 2004, les auteurs de cet ouvrage ont écouté la population, surtout du côté turc, jusqu’alors négligée par la recherche. Les témoignages recueillis, parmi des « gens de peu », disent le malheur de la déchirure comme les craintes et les espérances de ceux qui tentent de reconstruire une mémoire commune. Cette étude illustre les dégâts du nationalisme, plaqué sur la religion et souvent artificiellement inculqué dans l’esprit de populations qui vivaient ensemble, parfois difficilement, mais sans se faire la guerre. À son échelle, le cas chypriote n’est guère différent du désastre yougoslave, vingt ans plus tard : le danger n’est pas dans l’Autre, mais dans les nationalismes qui jouent avec le feu.1,160/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2312270880002
ALPHONSE DUPRONT : DE LA ROUMANIE - TEXTES SUIVIS D'UNE CORRESPONDANCE AVEC EMIL CIORAN, EUGENE IONELa France et la Roumanie des années 1930 aux années 1960, à travers les textes d'Alphonse Dupront, ancien président de la Sorbonne : ses discours, rapports et écrits personnels, mais surtout les lettres échangées avec Ionesco, Cioran et Eliade. L'histoire d'amitiés profondes et d'une passion pour la Roumanie.
La passion pour la Roumanie est une dimension méconnue de la personnalité d’Alphonse Dupront (1905-1990), historien des sensibilités collectives et anthropologue du sacré, dont la thèse, Le Mythe de croisade (1956), a fait date dans l’historiographie française. Cette passion est née alors qu’il était à la tête de l’Institut français de Bucarest, entre 1932 et 1940, et l’a accompagné pendant la prodigieuse carrière scientifique qu’il a poursuivie en France, à l’université de Montpellier, puis à la Sorbonne. Éparpillés dans des publications peu accessibles ou totalement inédits, les textes réunis pour la première fois dans ce volume sont un témoignage révélateur de son regard clairvoyant sur l’histoire et les réalités roumaines, dans la continuité d’un Michelet ou d’un Quinet. Ce volume, introduit par une conséquente étude sur le volet roumain de la biographie intellectuelle de Dupront, contient aussi sa correspondance avec Cioran, Ionesco et Eliade, qu’il a soutenus lors de leur difficile installation en France.
Stefan Lemny est docteur de l’EHESS et spécialiste de l’histoire culturelle. Il a notamment publié Les Cantemir : l’aventure européenne d’une famille princière au XVIIIe siècle (Paris, Complexe, 2009) et Emmanuel Le Roy Ladurie : une vie face à l’histoire (Paris, Hermann, 2018).1,210/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2312270880001
BOIRE LA MER A GAZA - CHRONIQUE 1993-1996Le livre dont il est question ici, « Boire la mer à Gaza », est un recueil d'articles écrits et publiés dans le journal « Haaretz », entre 1993 et 1996 (publication du livre en Israël). Le titre est tiré d'une expression arabe, signifiant familièrement ?va au diable!?. Dans la région, chez les Palestiniens comme chez les Israéliens, on convient généralement, comme l'écrit Sylvain Cypel dans Le Monde du 22 décembre, que ?Gaza, c'est l'enfer?. Ancien port à l'histoire millénaire, c'est aujourd'hui une ville située dans une zone enclave, la ?bande de Gaza? où vivent, outre les citadins, des réfugiés et des colons. Les accords d'Oslo devaient entre autres choses régler la question du ?transfert d'autorité? de l'armée israélienne à l'Autorité palestinienne. Amira Hass apporte ici des témoignages, des entretiens, des choses vues et des mises en regard d'analyses provenant de différentes instances et portant sur plusieurs périodes. À travers des entretiens réalisés avec d'anciens militants devenus aujourd'hui des responsables en vue, elle revient par exemple sur la première Intifada et sur la manière dont ils ont pris la tête du mouvement et imposé des faits accomplis à la direction de l'OLP, que l'exil avait fini par couper du terrain. Ce sont ces jeunes dirigeants locaux, plus militants qu'hommes d'appareil, que Yasser Arafat, faute de pouvoir les contrôler, avait appelés ses ?généraux?. Ailleurs, elle documente les petits faits quotidiens qui témoignaient de l'arrogance et du mépris des soldats d'occupation, lesquels à leur tour ne font que renvoyer à la mauvaise foi stupéfiante des autorités politiques et militaire israéliennes. Elle note aussi les transformations parfois minuscules qui eurent lieu au cours des étapes du transfert d'autorité qui fit suite aux accords d'Oslo et qui indiquent la rapidité avec laquelle on s'acclimate au sentiment de la liberté. Elle marque enfin le grippage originel lié aux points laissés en suspens à Oslo et la pusillanimité d'accords qui laissaient à la mauvaise volonté des Israéliens toutes opportunités de se manifester efficacement (blocage des points de passage, interdiction aux ouvriers travaillant en Israël de passer la frontière, fermeture de l'aéroport, non respect de l'obligation d'établir un corridor avec la Cisjordanie). Pour autant, elle n'épargne pas l'incompétence, pour dire le moins, des dirigeants de l'Autorité palestinienne. Le résultat est que la situation des Gaziotes, en fin de compte, n'a cessé de s'aggraver depuis 1994. Si nous avons en France la chance d'avoir accès à des publications importantes sur le sujet, telles la « Revue d'études palestiniennes », il subsiste une certaine ignorance de l'existence en Israël même d'une authentique dissidence critique relativement à la doxa locale très fortement majoritaire. Il me semble utile de faire entendre ici ces voix qui résistent au système de manipulation qui tend à rendre inaltérable le système de la paranoïa et de l'oppression, sous influence d'institutions politiques et éducatives redoutablement efficaces. Ces voix, longtemps occultées ici par celles, plus emblématiquement paralytiques et tièdement consensuelles, d'un Amos Oz ou d'un David Grossman, commencent heureusement à être connues ici (voir « Le Monde » du 22 novembre 2000 ; voir aussi « Le Monde diplomatique », novembre 2000). Je crois nécessaire d'en proposer un accès de première main et non plus seulement d'ouï-dire. « Boire la mer à Gaza » apporte le témoignage de l'une des nombreuses modalités de la résistance, thème qui reste sensible en France : résistance à la doxa politique et mise en œuvre d'une machine critique à partir d'un déplacement spatial infime du locuteur - de Tel Aviv à Gaza. Il convient ici de rappeler ce qui est devenu déjà légendaire à propos du personnage de l'auteur. Sa mère, sarajévienne et rescapée de Bergen Belsen, lui a raconté, alors qu'elle était enfant, une scène qui s'est gravée dans sa mémoire et gouverne aujourd'hui tout son travail et son engagement politique : descendant du train qui l'amenait au camp, la jeune fille avait aperçu un groupe de femmes qui regardaient le convoi, mi-curieuses, mi-indifférentes. Très tôt, Amira Hass a su qu'elle ne serait jamais de ceux qui restent sur le côté pour regarder. Ce qui signifiait qu'elle serait à l'intérieur, pour partager et témoigner. Amira Hass fait un travail qui, à sa manière journalistique, va dans le même sens que celui des Nouveaux historiens israéliens : c'est un travail de démythification et de réancrage des outils de la pensée dans un monde où l'autre, l'interlocuteur avec qui l'espace est en partage, est bien en vue et non l'objet d'une dénégation répulsive/compulsive. La pertinence de cet effort me paraît devoir toucher non seulement ceux qui s'intéressent au conflit israélo-palestinien, mais de manière plus générale, ceux pour qui les questions que pose la résistance ne sont pas épuisées et ceux pour qui la destinée tragique du peuple palestinien, celle pathétique du peuple juif n'ont rien d'énigmatique ni de divin, mais restent un défi devant lequel il importe de ne pas laisser céder la pensée.1,290/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2312001869857
La France est malade de son passé. Depuis 1944, le souvenir de l’Occupation n’en finit pas d’agiter la mémoire « collective ». Vichy est toujours d’actualité, dans la presse, dans le débat politique, au cinéma ou dans la littérature, dans les prétoires d’une justice constamment sollicitée. Le Syndrome de Vichy n’est pas un livre de plus sur cette époque trouble, mais l’histoire de sa difficile résorption ou de sa survivance, celle des mythes constitutifs, du pétainisme au résistancialisme, qui ont tenté de reconstruire et travestir une réalité plus complexe que les images d’Épinal, tout en perpétuant des clivages ancestraux. L’auteur s’interroge sur la transmission comme sur la réception des représentations mouvantes et contradictoires de quatre années que certains auraient souhaité rayer de notre histoire.
Henry Rousso
Historien, directeur de recherches au CNRS, il s’est illustré par une œuvre importante sur la Seconde Guerre mondiale, notamment la période de Vichy, et sur l'histoire de la mémoire.630/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2311001850267