LE TEMPS DU PAYSAGE - AUX ORIGINES DE LA REVOLUTION ESTHETIQUE
LE TEMPS DU PAYSAGE - AUX ORIGINES DE LA REVOLUTION ESTHETIQUE
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Sans doute faut-il préciser l’objet qui donne son titre à ce livre. Le temps du paysage ici considéré n’est pas celui où l’on a commencé à décrire dans des poèmes ou à repré- senter sur des murs des jardins fleuris, de sombres forêts, des montagnes majestueuses, des lacs paisibles ou des mers agitées. Il n’est pas non plus celui de la naissance et des transformations de ce mot ou de ses équivalents dans d’autres langues. Il est celui où le paysage s’est imposé comme un objet de pensée spécifique. Cet objet de pensée s’est constitué à travers des querelles concrètes sur l’amé- nagement des jardins, des descriptions minutieuses de parcs ornés de temples à l’antique ou d’humbles sentiers forestiers, des récits de voyages à travers lacs et montagnes solitaires ou des évocations de peintures mythologiques ou rustiques. Et ce livre en suivra les détours. Mais ce qui se forme à travers ces récits et ces querelles, ce n’est pas simplement le goût pour un spectacle qui charme les yeux ou élève l’âme. C’est l’expé- rience d’une forme d’unité de la diversité sensible propre à modifier la configuration existante des objets de pensée et des notions propres à les penser. Le temps du paysage est celui où l’harmonie ou la dysharmonie présentée par les jardins aménagés ou par la nature sauvage contribue à bouleverser les critères du beau et le sens même du mot art. Ce boulever- sement en implique un autre qui affecte le sens d’une notion fondamentale, dans l’usage commun comme dans la réflexion philosophique, celle de nature. Or on ne touche pas à la nature sans toucher à la société qui est censée obéir à ses lois. Et le temps du paysage est aussi celui où une certaine harmonie du spectacle des champs, des forêts ou des cours d’eau s’avère propre à métaphoriser l’ordre qui convient aux sociétés humaines. Ce temps peut, dans les sociétés occidentales, être situé avec assez de précision. Il coïncide avec la naissance de l’esthétique, entendue non comme discipline particulière mais comme régime de pensée de l’art. Mais il est aussi contemporain de la Révolution française, entendue non comme succession de bouleversements institutionnels plus ou moins violents mais comme révolution dans l’idée même de ce qui assemble une communauté humaine. Il appartient donc à un temps où la conjonction de ces deux boulever- sements laisse percevoir, de manière encore confuse, un horizon commun, celui d’une révolution qui ne concerne plus simplement les lois de l’État ou les normes de l’art mais les formes mêmes de l’expérience sensible. Cette révolution est depuis longtemps au centre de mon travail. Le présent livre peut donc être considéré comme une autre de ces scènes propres à faire percevoir la genèse et les transformations d’un régime de l’art mais aussi du monde commun sensible qu’il dessine. Et ce « temps du paysage » prend tout naturel- lement sa place dans le réseau des temporalités artistiques et politiques dont j’ai essayé, dans les Temps Modernes, de tracer quelques figures.
FAIRE L HISTOIRE DE L ART EN FRANCE (1890-1950) - PRATIQUES, ECRITURES, ENJEUXEn explorant l’histoire de l’art en France de 1890 à 1950, le parcours de ses acteurs, et la diversité de ses publics, cet ouvrage révèle l’image d’une discipline en pleine transformation, expérimentant de nouvelles méthodes appliquées à de nouveaux objets.
L’histoire de l’art produite en France pendant la première partie du XXe siècle est assez peu présente dans les ouvrages classiques étudiant l’évolution de la discipline. Au-delà de quelques figures pionnières et d’œuvres fondatrices, comme celles d’Émile Mâle ou d’Henri Focillon, la production historiographique des années 1890-1950 n’est pas réputée avoir produit de mutations décisives, ni dans la méthodologie de l’histoire de l’art, ni même dans la définition de son objet.
Cette période est pourtant marquée par un foisonnement intellectuel sans précédent, qui a inspiré une large gamme de publications savantes, d’ouvrages de vulgarisation et d’expositions. En explorant à la fois les modalités concrètes de cette production, le parcours de ses acteurs, les concepts fondamentaux de la discipline et la diversité de ses publics, cet ouvrage révèle l’image d’une histoire de l’art plus ouverte, plus expérimentale, en un mot plus moderne que celle qu’on connaissait jusqu’à présent.1,430/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001956426
HENRI FOCILLONFigure tutélaire de l'histoire de l'art français, Henri Focillon (1881-1943) fut professeur d'histoire de l'art à l'université de Lyon et directeur des musées de la ville de 1913 à 1924. Il enseigna ensuite à la Sorbonne, au Collège de France puis aux Etats-Unis où il choisit de s'exiler. Tout au long de sa carrière, Focillon marqua plusieurs générations d'élèves, mais aussi de lecteurs éblouis par l'ampleur de son savoir comme par ses qualités d'écrivain. La diversité des sujets abordés - de la sculpture romane à la peinture de son temps - et l'éventail des périodes prises en compte reflètent la richesse de ses intérêts et son goût pour les chemins de traverse. Cet ouvrage, qui réunit les études de plusieurs spécialistes français et étrangers, évoque ainsi les différentes facettes de sa pratique d'historien de l'art et les étapes de sa carrière : son engagement dans le siècle, la multiplicité de ses objets de recherche, mais aussi sa prédilection pour le domaine de l'estampe, occidentale ou orientale. L'analyse comparée des travaux de Focillon et de ses grands contemporains, notamment en Allemagne et en Italie, permet d'inscrire sa démarche dans un faisceau de relations au sein desquelles émerge sa singularité. Loin de ne constituer qu'un simple hommage au plus fameux des historiens de l'art français du XXe siècle, cet ouvrage collectif offre enfin l'occasion de s'interroger de façon critique sur l'héritage d'Henri Focillon : ce qu'il reste aujourd'hui, dans nos pratiques et nos méthodes, de l'œuvre intellectuelle de l'auteur de la Vie des formes. Le colloque, dont ces actes rendent compte, a été organisé par l'INHA et l'université Lumière Lyon 2 en mars 2004.1,290/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001956382
HISTOIRE DE L ART N 92 : REPRODUCTIONS DECEMBRE 2023Outil indispensable à la diffusion et à la connaissance des oeuvres, la reproduction est omniprésente dans la culture visuelle contemporaine. Loin de seulement susciter une « perte d’aura », selon la formule de Walter Benjamin, elle est un instrument majeur de l’histoire de l’art, utilisée par les chercheurs de manière si régulière qu’ils en oublient parfois son caractère interprétatif. Le numéro Reproductions invite à considérer sur un temps long l’ensemble des techniques de reproduction et leurs usages. La reproduction permet le passage d’un médium à l’autre : ainsi, dans le cas de la tapisserie, Marie Cuttoli commande des modèles à des artistes phares des années 1930 et 1960 ; croisant gravure et photographie, Nicéphore Niépce met au point l’héliographie ; en sculpture, Vincenzo Vela s’inspire de la photographie et du moulage. Les techniques d’agrandissement (Auguste Rodin et le pantographe) et de réduction (l’édition de bronzes à Paris au XIXe siècle) sont aussi étudiées. Une attention particulière est prêtée aux acteurs et aux circuits de diffusion, depuis la création d’Agnus Dei dans la Rome moderne jusqu’au soutien apporté à la gravure d’interprétation par la Chalcographie du musée du Louvre, en passant l’apparition du tirage limité des estampes au XVIIe siècle. Ce numéro questionne ainsi les usages multiples de la reproduction. Si elle s’avère utile pour l’étude et l’apprentissage, comme dans le cas des collections de moulages lyonnaises ou des conférences accompagnées de projections lumineuses par Raphaël Gaspéri dans le sud de la France au début du XXe siècle, elle peut aussi être parfois trompeuse, à l’exemple des manipulations photographiques effectuées par les éditions Cahiers d’art pour magnifier des objets préhistoriques ou des usages parfois controversés de moulages par la galerie Demotte. Apparaît ainsi clairement le potentiel (dé)formateur de la reproduction, qui entre enfin dans le champ des pratiques muséographiques, patrimoniales et artistiques, comme en témoignent une enquête sur le mobilier traditionnel menée par le musée national des Arts et Traditions populaires dans les années 1940 ; le développement des expositions immersives qui trouvent leur origine dès les années 1960 ; les performances phares du XXe siècle rejouées sur Second Life par Eva et Franco Mattes ; ou encore la reprise en 2010 à Eindhoven d’un dispositif muséographique conçu par Lina Bo Bardi. Par l’analyse de ces réinterprétations multiples, ce numéro d’Histoire de l’art souligne la richesse des processus reproductifs.1,380/mainssl/modules/MySpace/PrdInfo.php?sn=llp&pc=2407001956365